- 1916, l’année de Verdun : La guerre des tranchées
À peine conclus, les accords de Chantilly sont soumis
à rude épreuve. Refusant en effet de s’engager plus loin dans le problème
russe, Falkenhayn se décide, pour atteindre l’ennemi numéro un qu’est pour lui
la Grande-Bretagne, à détruire l’armée française – son « épée » sur le
continent – par épuisement de ses effectifs. Dans ce dessein, il déclenchera
avec le maximum de violence et aussi longtemps que nécessaire une offensive sur
un point, en l’occurrence Verdun, que les Français seront psychologiquement
obligés de défendre.
Cette stratégie inédite sera complétée par une relance
de la guerre sous-marine sans restriction, expérimentée avec succès en 1915.
L’amirauté estime maintenant possible de couler en 6 mois le tiers du tonnage
marchand indispensable au ravitaillement de la Grande-Bretagne. Guillaume II et
Bethmann-Hollweg hésitent pourtant à se lancer dans cette aventure, ce qui
provoquera le 6 mars la démission tapageuse de l’amiral Tirpitz, chef de
l’amirauté de Berlin.
- Verdun, la Somme et l’offensive Broussilov
Le 21 février éclate, comme un coup de tonnerre,
l’offensive allemande sur Verdun. Après avoir bousculé les défenses françaises
de la rive droite puis de la rive gauche de la Meuse, la marée allemande est
bloquée en juillet sur les pentes de Souville avant d’être refoulée par les
soldats de Pétain, de Nivelle et de Mangin au cours des deux batailles du 24
octobre et du 15 décembre. Toutefois, si l’armée française s’y use
considérablement, l’échec de la stratégie allemande est patent puisque, «
malgré Verdun », Joffre et Haig déclenchent, le 1er juillet, l’offensive prévue
sur la Somme. Menée par 26 divisions anglaises et 14 françaises, l’attaque
alliée, entretenue durant quatre mois, portera un coup très rude au front
allemand dans la région de Péronne et obligera l’adversaire à diminuer la
pression sur Verdun. Pour autant, au-delà des succès initiaux de juillet,
l’engagement sur la Somme s’est transformé en boucherie, s’est essoufflé dès le
14 juillet et a tourné court en novembre (→ batailles de la Somme, bataille de
Verdun).
À l’est, depuis le 4 juin, le front s’est remis en
mouvement : quatre armées russes, conduites par Broussilov, ont enfoncé les
lignes autrichiennes en Volhynie et capturé 500 000 hommes. Les Russes menacent
maintenant la frontière hongroise, et les Allemands sont contraints de l’étayer
pour prévenir l’effondrement du front austro-hongrois.
- Intervention roumaine et crise allemande
Au moment où le général Franz Conrad von Hötzendorf,
chef de l’état-major autrichien, appelle l’Allemagne à son secours, le Reich
subit un terrible coup par la déclaration de guerre de la Roumanie (28 août
1916), dont l’intervention aux côtés des Alliés compromet le ravitaillement de
l’Allemagne en blé et en pétrole. Cette fois, l’opinion publique, déjà durement
touchée par les restrictions consécutives au blocus, s’émeut, et le Kaiser,
constatant la faillite de la stratégie d’épuisement de Falkenhayn, le remplace
au commandement suprême par la populaire équipe des vainqueurs de l’Est,
Hindenburg et Ludendorff (29 août).
Ceux-ci font preuve aussitôt d’une étonnante activité
et arrêtent les mesures qu’exige la gravité de la situation militaire. Après
avoir imposé à Conrad von Hötzendorf le commandement unique à leur profit des
forces de la « Quadruplice » (Allemagne, Autriche-Hongrie, Turquie, Bulgarie),
ils décident de passer aussitôt sur la défensive sur le front français ; bien
plus, ils en prévoient le raccourcissement par un repli à opérer entre Arras et
Soissons qui économisera une quinzaine de divisions. Pour parer au danger
venant de Bucarest, ils chargent Falkenhayn, qui n’a pas su conserver le blé
roumain, d’aller le reconquérir à la tête d’une nouvelle armée (la IXe), créée
le 9 septembre.
En trois mois, ses forces, appuyées par celles de
Mackensen, débouchant de Bulgarie, conquièrent la Roumanie jusqu’au Siret, et,
le 6 décembre, les Allemands font leur entrée à Bucarest.
- Guerre au Moyen-Orient et problème arabe
Le Moyen-Orient pendant et après la Première Guerre
mondialeLe Moyen-Orient pendant et après la Première Guerre mondiale
Animées par des états-majors allemands, les forces
ottomanes s’opposent aux Britanniques en Mésopotamie et en Palestine et aux
Russes sur le front du Caucase, où le grand-duc Nicolas a remporté deux
brillants succès à Erzurum (janvier) et à Trébizonde (avril).
Pour les Anglais, au contraire, l’année 1916 a été
difficile : le 28 avril, en Mésopotamie, la garnison de Kut al-Amara a dû capituler
devant les assauts des Turcs, qui, en août, ont lancé un deuxième raid contre
Suez. C’est alors que débute, en milieu arabe, l’action du jeune Lawrence
d’Arabie, qui, ayant gagné la confiance d’Abdullah et de Faysal, fils d’Husayn,
roi du Hedjaz, organise avec eux la libération de la « nation arabe » du joug
ottoman. Et cela au moment même où, à l’insu de Lawrence, Paris et Londres
concluent en mai un accord partageant l’Empire ottoman en deux zones
d’influence politique et économique : l’une, française, incluant la Syrie et le
Liban, l’autre, anglaise, comprenant la Palestine, l’Iraq et la Transjordanie
(→ accord Sykes-Picot).
Singulière équivoque, qui pèsera lourdement dans les
rapports futurs de l’Occident avec l’islam.
- La situation des belligérants à la fin de 1916
Dans les deux camps, l’année a été très rude, et
l’usure des belligérants s’affirme en tous domaines.
Repos dans les abris sur le front occidentalRepos dans les abris sur le front occidental
Repos dans les abris sur le front occidentalRepos dans les abris sur le front occidental
La Grande-Bretagne, qui entretient maintenant 70
divisions, se voit contrainte, pour la première fois dans son histoire,
d’adopter progressivement la conscription. La situation économique y est encore
aisée, et, en dépit de la déception que cause à Londres le demi-succès de la
bataille navale du Jütland et la menace permanente de la guerre sous-marine, la
maîtrise de la mer demeure aux Alliés. En décembre, le cabinet Asquith cède la
place au gouvernement d’Union nationale de Lloyd George.
En France, où toute l’année a été vécue sous le signe
de Verdun, l’Union sacrée présente des failles, le Parlement s’agite,
l’économie s’essouffle et le déficit budgétaire n’est comblé que par les
emprunts anglais et américains. En décembre, Joffre est abandonné par Briand,
qui choisit Nivelle comme commandant en chef.
En dépit des succès éclatants de Broussilov, la Russie
est au bord de la révolution : l’assassinat de Raspoutine (29 décembre) traduit
la révolte de la classe nobiliaire et de la bourgeoisie libérale contre
l’aveuglement du tsar.
À Vienne, la mort du vieil empereur François-Joseph
entraîne l’avènement du jeune Charles Ier, lucide et généreux. Marié à une
princesse d’ascendance française, Zita de Bourbon-Parme, il voudrait prendre
ses distances vis-à-vis de Berlin, mais se heurte à une situation politique
rendue inextricable par le réveil des nationalités qui composent l’ensemble
disparate et suranné de la double monarchie.
Quant aux Allemands, qui vivent depuis un an sous le
régime de la carte d’alimentation, ils viennent avec Ludendorff de trouver un
chef qui s’affirme peu à peu comme le dictateur du IIe Reich. Pour lui, qui
juge lucidement la situation difficile de son pays, toute la politique doit
désormais être subordonnée au seul impératif de gagner la guerre. C’est dans
cet esprit que, au risque de provoquer l’intervention américaine, il se rallie
en novembre à la thèse de la guerre sous-marine.
Pour inciter l’adversaire à se dévoiler, Guillaume II,
profitant de l’entrée de ses troupes à Bucarest, lance le 12 décembre une offre
de paix spectaculaire. Rejetée par les Alliés, elle est relevée par Wilson, qui
vient d’être réélu président des États-Unis et qui, en réponse, demande à tous
les belligérants de lui faire connaître leurs buts de guerre.
- La guerre navale de 1914 à 1916
En 1914, la Grande-Bretagne est encore la reine des
océans : sa flotte marchande représente 48 % du tonnage mondial, sa marine de
guerre surclassera largement sa rivale allemande en tonnage (2,2 millions de
tonnes contre 1,05) et en qualité (24 dreadnoughts contre 13). Aussi, sur les
mers, dont les belligérants vont découvrir l’importance, l’intervention
anglaise confère-t-elle au conflit une dimension mondiale.
Par les combats du cap Coronel et des îles Falkland
(novembre-décembre 1914), l’amirauté de Londres, que dirige le vieux lord
Fisher, élimine d’abord la marine allemande des mers lointaines (→ bataille
navale des Falkland). Dès octobre, elle applique en outre un rigoureux blocus
de la mer du Nord, auquel l’amiral allemand Tirpitz réplique en déclenchant la
guerre sous-marine. Celle-ci se développe au début de 1915, mais est suspendue
en septembre après la protestation américaine qui suit le torpillage du
paquebot anglais Lusitania où, le 7 mai, périssent 118 passagers américains.
Avec les Dardanelles, la guerre navale s’est étendue à
la Méditerranée, confiée depuis 1914 à la garde de l’armée navale française
dont le chef est l’amiral Boué de Lapeyrère . Les sous-marins allemands et
autrichiens qui dominent l’Adriatique y mènent la vie dure aux Alliés, dont les
bases principales sont celles de Malte, de Moudros (Moúdhros) et de Corfou.
En dehors de leur rencontre fortuite du Dogger Bank
(24 janvier 1915), les flottes de haute mer allemande et anglaise ne
s’affronteront qu’en 1916, lors de la mémorable bataille navale du Jütland (31
mai-1er 1916). Au cours d’une lutte d’artillerie de douze heures, 100 bâtiments
allemands, conduits par les amiraux Reinhard Scheer (1863-1928) et Franz von
Hipper (1863-1932), s’attaqueront aux 150 navires de la Grand Fleet britannique
de l’amiral Jellicoe, secondé par Beatty. Après avoir coulé 14 bâtiments
anglais (112 000 t), Scheer, dont les pertes ne dépassent pas 60 000 t, utilise
la nuit pour se dérober.
Succès tactique des Allemands, le Jütland confirmait
toutefois l’incapacité de leur flotte à dominer son homologue anglaise. Aussi
Scheer en conclut-il que seul l’emploi massif des sous-marins pouvait être
décisif pour amener la ruine de la Grande-Bretagne.
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